Lucia Arrow
Une plume sensible, un univers où se mêlent présent, passé et émotions.
Paru le 13 juillet 2024
Ce silence entre les notes
Matteo vient d’être ordonné prêtre pour son plus grand bonheur. Alors qu’il attend le train qui doit le ramener à Bari, sa ville natale, il fait la connaissance de Maria, une jeune femme au cœur brisé par sa récente rupture. Matteo décide de lui prêter une oreille bienveillante. Mais pourquoi se sent-il soudain autant attiré par elle, alors qu’il est profondément en accord avec sa vocation et les vœux qu’il a prononcés ? Quand le train de Maria arrive, il se sent soulagé : jamais il n’aura à la revoir. Sauf que le destin en décidera autrement…
A propos de Lucia Arrow
Auteure de plusieurs romans sous mon vrai nom, j'ai choisi le nom de plume de Lucia Arrow pour exprimer pleinement ma part romantique. En effet, quoi de mieux qu'une belle histoire d'amour pour s'évader du quotidien, rêver, apaiser nos soucis? Pour ma première romance, j'ai choisi d'explorer l'amour interdit et de mêler présent et passé. Mes histoires sont axées sur la sensibilité de personnages attachants, la justesse des émotions et leur profondeur. Embarquez avec moi dans cet univers doux et réconfortant!
Extrait
Matteo la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle soit noyée dans la foule. Puis il retourna à la place qu’il occupait et rouvrit son livre. Il dut bien vite se rendre à l’évidence : il était incapable de se concentrer. Il repensait à Maria, à ses yeux sombres, à ses lèvres cerise dans lesquelles il avait eu envie de croquer. Il ne savait pas où devait l’emmener son train, il ignorait tout d’elle si ce n’était son prénom et un bout de son histoire d’amour malheureuse. Il ne la reverrait jamais. À son grand soulagement. Cette fille l’avait troublé. Plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.
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Le premier regard...
Matteo se passa une main dans les cheveux et regarda sa montre. Il avait encore un peu de temps avant son train. Une odeur de café flottait dans l’air. Il décida de commander un espresso et s’assit à une des petites tables installées devant le bar de la gare de Roma Termini. Il sourit en pensant que c’était son premier café en tant que prêtre. Puis, il ferma les yeux un instant pour respirer l’arôme émanant du gobelet. Bientôt, d’autres parfums viendraient taquiner ses narines. Ceux de son Sud et de son enfance. Les tomates mûres, le basilic, les embruns marins. Il avait adoré Rome, ses palais, ses musées, ses monuments prestigieux. Mais il avait hâte de rentrer chez lui, à Bari, une ville à taille plus humaine. Il connaissait les moindres recoins, les moindres ruelles du centre historique. Et puis, dans sa ville natale, il se sentait proche des gens. Il avait grandi sous le regard bienveillant des familles de son quartier, avait joué avec les enfants de son âge dont certains étaient toujours ses amis. Adolescent, il avait chevauché son scooter Piaggio, sillonnant la ville sans relâche. Il avait aussi embrassé des filles dans des ruelles discrètes, à l’abri des regards. Dans son quartier, les vieilles dames avaient pour habitude de menacer d’un coup de balai les gamins qui ne savaient pas se tenir. Ce souvenir le fit sourire. Vivre huit ans dans la capitale italienne n’avait en rien rompu son lien avec ses racines. Il était revenu chaque été, quand ses études au Séminaire le lui permettaient. Maintenant, il revenait pour de bon. Il allait redevenir le fils aimant, le voisin serviable, l’ami fidèle de tous ces gens à qui il manquait et qui lui manquaient. Et surtout, maintenant, il tiendrait un rôle de grande importance : il serait leur prêtre. Après huit ans d’études au Séminaire, Matteo avait prononcé ses vœux – obéissance, pauvreté, chasteté. Il était prêt pour assumer sa nouvelle mission. Père Giuseppe, qui avait baptisé Matteo, était désormais trop âgé et trop malade pour exercer. Le jeune homme allait pouvoir prendre ses nouvelles fonctions assez rapidement à l’église San Lorenzo. Il était à la fois excité, impatient et heureux.
Pendant qu’il buvait son café, perdu dans ses pensées, une jeune femme s’installa à la table en face de la sienne. Son visage était caché par de larges lunettes de soleil et ses longs cheveux noirs se rabattaient sur son front et ses tempes. Matteo s’apprêta à se lever pour rejoindre son quai lorsqu’il vit s’afficher un retard de trente minutes pour son train. Il soupira légèrement, mais décida que cet imprévu ne lui gâcherait pas sa journée. Il en profita pour sortir un livre de son sac à dos. En relevant les yeux, il croisa ceux de la jeune femme en face de lui. Elle avait enlevé ses lunettes noires. Deux larmes coulaient de ses yeux sombres, emportant avec elles une traînée de mascara. Gênée, elle détourna la tête, tout en fouillant son sac à la recherche d’un mouchoir. Sans succès. Matteo déposa son livre, se leva et lui tendit son propre mouchoir en tissu blanc, parfaitement plié en carré.
— Tenez. Pas la peine de me le rendre, vous pouvez le garder, dit-il avec le sourire bienveillant qui le caractérisait.
La jeune femme se confondit en excuses, mais accepta le mouchoir. Les larmes s’étaient faites plus abondantes.
— Merci, répondit-elle faiblement.
— Je peux ? demanda Matteo en désignant la chaise en face d’elle. Ça n’a pas l’air d’aller. On peut parler si vous voulez.
Peut-être qu’avant, Matteo aurait fait comme tout le monde : détourner le regard. Mais il était prêtre désormais. Il n’était plus le même homme. Il n’était plus le même qu’avant la plus grande décision de sa vie : celle d’être au service de Dieu et des hommes. Il ne se détournerait plus d’une âme en peine.
La jeune femme eut un moment d’hésitation. Cet inconnu n’était-il pas un peu trop intrusif ? Que voulait-il au juste ? Mais le sourire de Matteo et son regard franc vinrent à bout de ses craintes. Elle fit un geste vers la chaise tout en séchant ses dernières larmes.
— C’est gentil à vous de me donner votre beau mouchoir. J’ai honte de vous en priver.
— Ce n’est qu’un mouchoir ! protesta Matteo en riant, heureux de voir que le visage de la jeune femme reprenait un peu de couleur.
— Vous vous sentez mieux ?
La jeune femme haussa les épaules.
— Si on veut…
— Vous voulez en parler ? J’ai encore un peu de temps avant mon train, il a été retardé.
— Je suis sûre qu’il n’a pas assez de retard pour que je vous raconte toute l’histoire…
— On peut toujours essayer… Tu t’appelles comment ?
— Maria.
— On peut toujours essayer, Maria. Moi c’est Matteo. C’est OK si on se tutoie ?
Maria fit oui de la tête.
— C’est à un psy que je devrais tout raconter…
— Ou à un prêtre. Ils peuvent aider aussi.
La jeune femme eut un petit rire. Elle rejeta ses cheveux en arrière. Ses mèches noires et ondulées passèrent derrière ses épaules, découvrant un cou long, délicat, où affleuraient quelques veines bleutées. La peau de son visage était fine, ses lèvres avaient naturellement une couleur cerise. Matteo se surprit à les fixer alors qu’elle les mordillait après avoir ri.
— Mais je n’ai ni l’un ni l’autre sous la main ! C’est vrai que la meilleure alternative est encore de me confier à un inconnu que je ne reverrai jamais et qui n’aura personne à qui raconter mes affreux secrets !
— Je suis prêtre, dit Matteo. Et je suis sûr que tes secrets ne sont pas si affreux que ça.
Maria plongea ses grands yeux noirs dans ceux de Matteo, cherchant sur son visage une marque d’ironie. Elle détailla la ligne de sa mâchoire, son teint hâlé qui contrastait avec le bleu de ses yeux, la fossette qui creusait sa joue gauche. Son regard descendit le long de ses épaules musclées, se perdit sur son torse. Puis elle éclata de rire.
— Tu me fais marcher, n’est-ce pas ?
— Je suis très sérieux. Je suis prêtre même si je n’en ai pas l’air… Mon col romain est dans ma valise. Il fait chaud et j’ai décidé de me mettre à l’aise pour le voyage.
Maria le dévisagea encore, ne sachant vraiment pas s’il faisait durer la blague ou s’il disait la vérité. En effet, il n’avait pas du tout la tête de l’emploi. Il était beaucoup trop jeune et beaucoup trop beau pour être prêtre. Et sa carrure athlétique trahissait plus l’entraînement sportif que l’étude de la Bible.
— Alors, ces affreux secrets ? reprit le jeune homme.
— Tu veux ma confession ?
Un petit sourire apparut sur le visage de Matteo.
— Je ne te donnerai pas de pénitence. Tu peux parler librement.
Maria plongea son regard dans le sien, puis se détourna. Elle prit une inspiration, entrouvrit ses lèvres rouges. Matteo les regarda à nouveau. Que lui arrivait-il ? Pourquoi ses yeux étaient-ils irrémédiablement attirés vers la bouche de la jeune femme ?
— Mon histoire est très banale, murmura Maria, mettant fin au silence. J’ai 26 ans et j’ai le cœur brisé, voilà. Mon copain m’a quittée.
Matteo hocha la tête avec empathie. Maria enfouit son visage dans le mouchoir. Matteo demanda :
— Vous étiez ensemble depuis longtemps ?
— Cinq ans.
—Je comprends que ce soit difficile. Tu trouveras l’amour véritable, j’en suis sûr. Aie confiance.
— Le plus dur, c’est de savoir qu’il ne m’a jamais aimée.
— Ça me paraît peu probable lors d’une si longue relation. En es-tu sûre ?
Maria agita la tête en soupirant. D’un geste elle ramassa toute sa chevelure et l’attacha en un chignon improvisé. Matteo fut pris d’un frisson dans la poitrine qui descendit jusqu’à son ventre. La vue de la nuque qu’il devinait derrière son oreille dégagée le troublait.
Qu’est-ce qui me prend ?
— J’en suis certaine. Il m’a quittée pour son amour d’adolescence. En fait, il n’avait jamais cessé de penser à elle. Ils ont été ensemble de leurs 15 ans à leurs 17 ans. Mais ses parents à elle ont déménagé à Turin. Elle a bien été obligée de les suivre et leur couple n’a pas tenu à cause de la distance. Elle s’est ensuite mise avec quelqu’un d’autre. Je sais que Stefano, mon ex, et elle se parlaient de temps en temps sur Facebook, mais je n’y voyais pas de mal. Il y a deux jours, son statut est passé de « en couple » à « célibataire ». Ni une ni deux, je me suis fait larguer. Le lendemain, il prenait sa voiture, direction Turin.
— Je suis désolé, murmura Matteo. C’est très brutal, en effet…
Il posa sa main sur son épaule dans un geste amical, mais il dut s’en détacher quasi immédiatement. Il ne savait pas pourquoi, son rythme cardiaque s’était accéléré. Il eut l’impression qu’un courant électrique s’était mis à galoper dans ses veines. Maria n’était pourtant pas la première belle femme à croiser son chemin depuis sa décision de devenir prêtre ! Pourquoi le mettait-elle dans tous ses états ? Elle agissait sur lui comme une traînée d’étincelles qui s’enflammaient sous sa peau. Qu’avait-elle de si spécial ?
Maria écrasa encore une larme qui venait de poindre dans son œil, puis, en jetant un regard aux panneaux lumineux, elle vit que son train était annoncé. Elle se leva, et tout en adressant un sourire triste à Matteo, elle dit :
— Je dois y aller… Je garde le mouchoir alors… Merci de m’avoir écoutée. Bonne continuation !
—Le Seigneur te garde, Maria…
Cette réplique la fit sourire et lever les yeux au ciel. Décidément, il ne voulait pas mettre fin à la comédie. Matteo la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle soit noyée dans la foule. Puis il retourna à la place qu’il occupait et rouvrit son livre. Il dut bien vite se rendre à l’évidence : il était incapable de se concentrer. Il repensait à Maria, à ses yeux sombres, à ses lèvres cerise dans lesquelles il avait eu envie de croquer. Il ne savait pas où devait l’emmener son train, il ignorait tout d’elle si ce n’était son prénom et un bout de son histoire d’amour malheureuse. Il ne la reverrait jamais. À son grand soulagement. Cette fille l’avait troublé. Plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.